Branches de vie – « Ze Rock »

C’est au mois de mai 2019 que nous, mes élèves et moi étions finalement envolé vers le vieux continent pour un voyage qui allait être épique. Après plusieurs années à talonner la direction de l’école où j’enseigne pour que nous fassions un voyage en groupe, ça finalement été accepté.

On nous avait toujours dit « Non tchagg, il n’y a aucun lien pédagogique à faire avec le programme d’études. » Me répondait-on sèchement à chaque fois que nous voulions organiser un voyage.

Mais cette fois-ci c’était vrai.

Vous savez, j’enseigne le programme de conseil de vente de voyages à l’école des métiers de la restauration et du tourisme de Montréal depuis 10 ans. Donc OUI, faire un voyage de groupe avec les élèves c’est crissement en lien avec le tourisme.

Bref.

Je regardais ma distinguée collègue enseignante dormir dans l’avion à des kilomètres au-dessus de l’Atlantique. Je la regardais parce qu’elle dormait d’une drôle de manière. Lunettes sombres au visage, un oreiller de voyage en ‘u’ à l’envers dans son cou et de gros bouchons orange dans les oreilles. Elle était recroquevillée par en avant la « tête-oreiller » couchée sur la tablette d’en avant. Le pire n’était pas d’essayer de ne pas trop rire en voyant ça, mais c’est que ça marchait!

Bref, on arrive à Amsterdam, que vous aurez la chance de lire bientôt dans ce blogue. On visite même la Belgique et Paris, où arriva enfin cette histoire d’homme fort.

À Paris, où dirais-je plutôt St-Quentin-en-Yvellines en banlieue de la Ville Lumière, nous sommes accueillis comme les Français savent le faire.

Le lundi matin, un accueil au tapis rouge au Lycée des métiers de l’hôtellerie et du tourisme de Saint-Quentin-En-Yvelines à Guyancourt. Dès notre entrée nous sommes applaudis par tous les élèves de l’école et des poignées de mains et des bisous se sont donnés par dizaines. Une délégation officielle.

Dans la grande salle de réception où les élèves en pâtisserie et en boulangerie nous ont servi ce qu’ils avaient fraîchement préparé et les sommeliers s’en donnaient à cœur joie à nous offrir tous ces délicieux mimosas.

C’est à ce moment que j’ai donné cette entrevue à la télé locale.

Après cette cérémonie d’accueil et d’échanges, nous sommes invités à dîner avec le maire!

En tout cas ce fut une journée mémorable.

Revenons à mes moutons.

Cette journée-là, le lundi matin, je rencontrai non seulement les enseignantes, les directions de lycée, le maire, etc. Mais également les élèves en tourisme, parce que, rappelez-vous, je suis là-bas pour un voyage avec mes étudiants. Dix-huit au total!

Un de ces élèves m’a particulièrement marqué cette journée-là. Edwin.

Il m’avait marqué parce qu’il s’était présenté à moi et était vraiment fier et honoré de rencontrer un Canadien.

Bon j’avais beau expliquer à tout le monde qu’au Québec, on était une société distincte et que c’était important pour plusieurs Québécois de souche, like-me, et que le terme « canadien » stridait dans nos oreilles. Mais pour eux on était avant tout, des Canadiens. Soit!

Donc après avoir tout expliqué ça à Edwin, il me serra encore une fois la main. Je voyais sa fierté dans ses yeux. Ah oui, l’autre chose qui m’éblouissait de ce jeune homme est sa beauté. J’pas gai, mais je sais reconnaitre un beau mec.

Mais ce mec venait de la province, comme disent les Parisiens. C’est-à-dire qu’il vient loin de la ville. Genre de village où la vie et le monde sont la petite communauté autour.

Et c’est à 17 ans que le jeune homme quitte la campagne pour la grande ville où il s’émerveille à un rien. « Wow, des boutiques! C’est magnifique! Comme dans les films! Je veux explorer le Monde. Je veux tout voir, tout savoir, j’ai soif d’aventure. Pourquoi pas une formation en tourisme? » Bingo! C’est exactement pour ça que ce jeune homme est devant moi et qu’il a une étincelle dans les yeux.

L’entente que nous avions avec le Lycée était que c’était un programme d’échange. Ils étaient les hôtes cette année pour la durée d’une semaine, et l’année suivante ce serait l’inverse.

La journée suivante, l’équipe enseignante de l’école avec l’aide de leurs élèves nous a concocté une visite du Paris, ville de la mode. Un rallye en équipe à pied dans les rues de Paris à la recherche de réponses aux énigmes aux thèmes des grands couturiers.

Les enseignants canadiens, donc moi et ma collègue avons pris part à l’activité, mais pas dans la même équipe

Devinez avec qui j’ai fait équipe?

Edwin le campagnard rêveur.

C’est justement lors de notre besogne qu’on a pu faire plus ample connaissance. Sans l’ombre de méchanceté, j’aurais pu deviner qu’il en était à ses premiers pas dans la société moderne. Je le voyais avec ses notions culturelles que ça datait.

Inutile de vous dire que la mode, je ne m’y connais zéro (à part Vuarnet®) et lui, il m’obstinait que Coco Chanel était un gars. Donc on a eu zéro bonne réponse au rallye, que du plaisir à fraterniser avec le jeune.

C’est en revenant le soir à l’auberge de jeunesse qu’une de mes étudiantes me fit le commentaire: « Ouain, t’es pas mal chanceux d’avoir été en équipe avec Edwin, j’aurais donné n’importe quoi pour être avec lui ». Je lui souris en lui dit en taquinant mon étudiante: « En plus d’être beau, il est vraiment fin et attentionné. Tu as manqué ta chance! Mais demain on visite le château de Versailles. Reprends-toi. J’en profiterai pour te le présenter! ».

Le lendemain tôt, le mardi, nous nous rendîmes au célèbre château qui était fermé cette journée-là, mais pour nous, ils ont fait exception. Nous avons été même reçus par le directeur du développement culturel. Mais pas d’Edwin.

On demande de ses nouvelles aux enseignantes, mais silence radio. Nous ne sommes pas inquiets, mais je trouve bizarre de ne pas voir mon ami de la veille.

Mercredi passe, sans nouvelles.

Une belle journée nous attend jeudi. Une visite guidée dans Paris 9e arrondissement, fait par les élèves du Lycée. Je suis émerveillé. Surtout que l’an prochain, ce sont ces mêmes étudiants, et peut-être même Edwin s’il revient un jour, qui l’an prochain seront chez nous, à Montréal. Et ce sont mes étudiants qui feront ces visites. Je l’ai-tu la job de rêve?

Vers la fin de l’après-midi, après une visite au mur des « Je t’aime » qu’Edwin fit irruption dans le groupe. Il avait texté un collègue de classe.

« Mais qu’est-ce qui se passe? » – l’interrogeons tous.

Figurez-vous donc que le garçon, en revenant du rallye parisien, a eu un accident de moto. Imaginez. Il avait l’air pas si mal dans les circonstances, mais il avait quelques égratignures au visage, des ecchymoses au cou et un bras peu mobile.

Je lui fis un petit sermon sur la prudence à moto, un peu comme un père le ferait. Je me suis quand même un peu attaché à ce garçon.

Je demandais à mon étudiante si elle le trouvait encore beau, et elle me répondit que oui, plus que jamais. Ça lui donnait même un air de bum.

tchagg tchaggensen l’entremetteur. Je suis allé voir ce cher Edwin pour savoir ce qu’il pensait de mon étudiante et si oui, lui demander ses coordonnées. Chose qu’il accepta volontiers.

Le vendredi, la dernière journée, c’était la soirée d’adieu. Nous avons été invités à boire un verre à l’un des clubs les plus branchés de Paris, le bar de la tour Montparnasse. Le plus haut gratte-ciel de Paris! On est jet-set! On s’y rend même en Uber! Mon étudiante est avec les autres, mais on attend encore Edwin qui tarde à arriver. On le texte et il dit qu’il est en route.

C’était notre dernière nuit dans la grande ville avant de dormir une dernière nuitée, près de l’aéroport Charles-de-Gaulle, donc la soirée ne fut pas très longue. 21 heures nous étions partis, sans avoir vu vous savez qui.

Dès mon arrivée à l’auberge, qui d’ailleurs avait un lobby très accueillant où le soir j’aimais prendre une bière ou deux, je montai à ma chambre, où je me suis empressé de faire mes bagages. Le lendemain très tôt nous partons quand même tôt, et je dois montrer l’exemple.

Bagages all set up! J’ai décidé d’aller prendre quelques bières dans le hall. 2 euros la Heineken, je suis aux anges. Tables rondes, une demie VW Beetles, des décorations des années ’60, une gérante néerlandaise un peu trop directe et sans filtre, un chat qui est le roi de la place et une guitare classique pour ceux que ça y tente de la gratter.

Quelques bières dans l’corps, à jouer de la guitare et à chanter avec quelques étudiantes, cette dernière soirée allait être mémorable.

Ding! Le cellulaire de mon étudiante sonne, et c’est Edwin!

« Vous êtes où? Je viens d’arriver au club Montparnasse et vous n’y êtes pas! » Dit-il.

Oups, on l’a oublié, lui.

« Viens nous rejoindre à l’auberge de jeunesse Woodstock ». Lui écrit mon étudiante.

J’étais vraiment content de pouvoir le revoir une dernière fois jusqu’à l’an prochain, où à son tour il allait nous rendre visite au Canada.

Presque minuit, trop de bière, en train de chanter Let it be des Beatles, le jeune homme arrive, enfin.

En plus de mon accent québécois, je déparlais à l’occasion, ce qui causa beaucoup de rires de la part d’Edwin. Je suis bon jeu et j’en fais de même. Même si ça l’air de cliquer entre les deux étudiants, on ne comprend pas toujours ce que l’autre veut dire. Et on trouve ça drôle.

Mon étudiante est très jolie, mais elle a un visage, comment dire… masculin. En plus elle est bronzée aux couleurs Maories. C’est alors que ma vision se pose sur elle et j’éclate de rire.

« Edwin, trouves-tu que… enlèves-y les ch’feux là.. à ressemble à Dwayne Johnson? » – lui marmonnais-je. Ben oui, c’était notre dernière soirée, et on s’agaçait. J’suis de même, mon cœur d’enfant I guess!

Edwin me regardait de ses grands yeux incrédules, et n’avait rien compris de ce que j’avais dit. Alors je répète tranquillement en arborant l’accent cheap Français.

« Du coup, euh, avez-vous remarqué, euh, que le visage de cette charmante demoiselle issu du 20ème siècle a un visage qui ressemble, étrangement, du coup, à Dwayne Johnson? »

« Qui? » Me cria Edwin.

« Ben là, viens pas m’dire que Dwayne Johnson n’est pas encore connu en France. Ben voyons, tout le monde le connait. Il a joué dans Fast and Furious 5 et 7 pis le nouveau Jumanji… » Je lui disais quand il m’a interrompu et criant:

« Ahhhhhhhhhhhhh » Ze Rock! »

Eh boboy, ils sont fous ces Français!

On a ri comme des fous, j’ai joué de la musique jusqu’à tard et encore une fois, j’étais très heureux d’avoir fait ce voyage et avoir rencontré ce jeune homme. Je le saluai chaudement et j’allai me coucher.

Lui et mon étudiante ont fait la même chose, dans le même lit! Si vous voyez ce que je veux dire.

Le lendemain, c’était une journée de préparatif, et j’avais 18 autres têtes à m’assurer que tout se déroule rondement. On changeait d’hôtel. Comme ça, on ne manquerait pas notre vol en revenant dimanche au Québec.

Tout s’est passé sans grand rien d’important, sauf que j’ai perdu une moitié de dents et ça faisait très mal.

Dans le vol, j’ai reçu un message texte d’une enseignante du Lycée pour nous avisé qu’Edwin avait perdu la vie à moto samedi soir en retournant chez lui, le lendemain où nous l’avions vu.

R.I.P. Edwin 2000-2017

tchagg tchaggensen

Mise-à-jour 17 novembre 2022

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